OMI (MEPC 81) : le nombre d'États en faveur d'une taxe carbone a plus que doublé

Crédit photo ©OMI
Retour sur deux semaines de débats en amont et pendant le 81e Comité de protection de l'environnement maritime de l'OMI, première réunion depuis que ses États membres ont validé le zéro net émission de la flotte mondiale d'ici 2050. Dès lors et jusqu'à 2027, ce qui va se décider dans l'hémicycle de l'organisation de réglementation sera déterminant pour les conditions d'exploitation futures du transport maritime.

Les États-membres de l’OMI viennent de se réunir – du 18 au 24 mars – à Londres dans le cadre de la 81e session du comité de protection de l'environnement maritime (MEPC), un des grands comités où s’éditent les règles en matière de prévention et de maîtrise des pollutions.

La session avait été précédée de quatre jours de négociations au sein du groupe de travail intersessions sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) des navires. C’est dans cette instance, en amont de la plénière, que les lignes de partage et les préférences se dessinent en général.

Il y avait plusieurs sujets soumis à l'approbation parmi lesquels l'application de la Convention sur la gestion des eaux de ballast aux navires opérant dans des conditions de qualité d'eau difficiles ; les lignes directrices pour l'échantillonnage du fuel en vue de déterminer la conformité avec la convention Marpol amendée ; le captage et le stockage du carbone à bord des navires ; les amendements aux lignes directrices de 2021 sur les systèmes de limitation de la puissance de l'arbre et du moteur ; la convention de Hong Kong sur le recyclage des navires…. Mais immanquablement, le sujet qui a volé la vedette reste la décarbonation du transport maritime.

Première réunion après la trajectoire révisée

Le MEPC 81 était la première réunion après la trajectoire révisée sur les gaz à effet de serre de juillet 2023 (MEPC 80) qui a validé des objectifs de réduction renforcés, engageant l’industrie maritime à se décarboner complètement (zéro net émission) « avant ou vers » 2050 et à adopter un certain pourcentage (5 à 10 %) de carburants à émissions de GES nulles ou quasi nulles d'ici à 2030.

« Des points de contrôle indicatifs » – expression qui avait fait alors bondir certains car jugée trop approximative – avaient été décidés de façon à réduire les GES émis par les navires de 30 % d'ici 2030 (« au moins 20 % » mais « en s’efforçant d'atteindre 30 % ») et de 80 % d'ici 2040 (« au moins 70 % » mais en s’efforçant de…).

Les « mesures de moyen terme », « juridiquement contraignantes », autre expression relevant du champ lexical repoussoir de l’OMI, étaient précisément sur la table des délégués de cette session. Deux leviers sont identifiés, l’un technique, l’autre économique : l’adoption d’une norme sur les carburants (rendre les navires plus propres) et une réglementation sur la tarification du carbone (faire payer les pollueurs).

Calendrier tendu à l'échelle de l'OMI

Le secrétariat de l'OMI, sous la conduite renouvelée d'Arsenio Dominguez (dont le cabinet est dirigé par le Français Damien Chevallier), et les États membres doivent désormais convertir les intentions en décrets dans un délai trois ans : les « mesures à moyen terme » doivent être validées lors du MEPC 83, au printemps 2025 (l'accord sur la formulation de l'amendement de la convention MARPOL est prévu en tout cas à cet horizon) en vue d’une adoption à l’automne de la même année pour une entrée en vigueur 16 mois après leur adoption donc à horizon 2027.

La tâche est ardue. L’organisation de réglementation du transport maritime doit mener le secteur vers ce territoire inconnu qu'est la décarbonation, tout en anticipant les impacts (commerciaux) imprévus de ses réglementations (forcément imparfaites) pour éviter d’avoir à y revenir en activant les pares-feux. Comme c’est souvent le cas.

Des lignes de partage claire : trois catégories

La seizième réunion du groupe de travail intersessions sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre des navires s’était clôturée sans changement décisif quant aux positions déjà affirmées dans les précédentes réunions.

Quatorze pays, principalement des économies à revenu intermédiaire, ont exprimé leur préférence pour une norme sur les carburants, adossé à un mécanisme d'échange de crédits carbone (comme le SCEQE de l’UE, système d'échange de quotas d'émission de l’UE), mais sans autre mécanisme de tarification des GES (pas de taxe donc).

Dix-huit autres, principalement mais pas exclusivement les PEID (petits États insulaires en développement) et les PMA (pays moyennement avancés), ont exprimé leur préférence pour une norme simplifiée sur les carburants sans marché carbone mais avec une taxe.

Enfin, seize pays, principalement mais pas exclusivement des économies développées, avaient défendu une norme sur les carburants qui intègre un mécanisme de quotas carbone à échanger et une tarification internationale.

47 partisans d'une taxe internationale

À l’issue de la plénière, la taxation internationale s’affirme. Le nombre de partisans a plus que doublé (47) depuis le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial que Paris accueilli les 22 et 23 juin 2023 au cours duquel le président Emmanuel Macron avait relancé le débat sur le principe d’une taxe mondiale dans le transport maritime. L’idée avait alors été soutenue par à peine une vingtaine de pays.

L'Union européenne, le Canada, le Japon et les États insulaires du Pacifique, qui font partie des 47 avocats de cette mesure affirment qu'elle pourrait rapporter plus de 80 Md$ par an. Ces fonds pourraient être réinvestis, font-ils valoir, pour accélérer le développement de carburants maritimes à faible teneur en carbone et accompagner la transition des pays les plus pauvres, qui sont aussi les plus impactés par le déréglement climatique.

Un certain consensus se dégage sur son montant. Une proposition déposée par les Îles Marshall, le Vanuatu et d'autres pays l’estiment à au moins 150 $ par tonne de CO2. « C’est la proposition la plus mature et la plus ambitieuse actuelle sur la table », a applaudi Anaïs Rios, responsable de la politique du transport maritime pour l'ONG Seas At Risk, suivie par la plupart des associations environnementales actives à l'OMI.

« L'ONU est sur le point d'adopter le tout premier prix mondial des émissions, mais cette politique ne sera couronnée de succès que dans la mesure où les pays la mettront en œuvre », rappelle pour sa part Sandra Chiri, responsable du transport maritime chez Ocean Conservancy. « Les discussions à l'OMI nous ont donné l'espoir qu'une nette majorité de pays comprennent l'énorme opportunité que représente la tarification des émissions du transport maritime (...) Il est regrettable qu'une minorité, petite mais persistante, s'efforce d'affaiblir cette mesure en présentant sa propre proposition qui, nous le savons, n'est pas assez ambitieuse », regrette-t-elle.

La Chine, le Brésil et l'Argentine, en fer de lance des antis

La Chine, le Brésil et l'Argentine rejettent fermement le mécanisme de tarification des GES affirmant qu'il pénaliserait les économies émergentes dépendantes des échanges maritimes et commerciaux. Une étude de l'université brésilienne de Sao Paulo soutient qu'une taxe carbone sur le transport maritime réduirait le PIB des pays en développement de 0,13 %, l'Afrique et l'Amérique du Sud parmi les plus touchés. La triade s'efforce par ailleurs de convaincre notamment les pays qui n'ont pas encore de position ferme identifiée, parmi lesquels de nombreux pays africains.

L'Argentine, le Brésil, la Chine, la Norvège, l'Afrique du Sud, les Émirats arabes unis et l'Uruguay ont par ailleurs présenté une alternative sous la forme d’un plafond mondial fixé à l’intensité carbone des carburants, assorti d'une sanction financière en cas de non-respect. Dans l’absolu, aucune émission pourrait donc être soumise à la redevance si les pays respectent pleinement la norme sur les carburants…

Pour autant, toutes les options restent sur la table, quant à la gouvernance, la forme, le montant et l’affectation des recettes tirées des différentes tarifications, une question politiquement conflictuelle sur laquelle ont systématiquement achoppé les précédents pourparlers. Les États membres ne sont pas non plus tous d’accord sur la manière dont ces recettes devraient être dépensées.

Tout reste ouvert

« Par rapport au débat qui s’est tenu en juin 2023, le nombre de pays soutenant un prix universel pour les GES a légèrement augmenté en termes absolus, et plus encore en termes de pourcentage. Plus important encore peut-être, le soutien des PEID a augmenté de manière significative », relève l’UMAS (University Maritime Advisory Services),
dont la recherche et les modèles sur les émissions du transport maritime guident les politiques publiques.

Du côté de l’industrie, il y a encore peu de réactions. La chambre internationale de la marine marchande (ICS), qui suit de près ces sujets à l’OMI, a salué les « progrès réalisés » et se félicite du « soutien reçu de la part d'environ 60 États membres pour un système de contribution forfaitaire par tonne de gaz à effet de serre », indique-t-elle dans son communiqué, qui ne tient manifestement pas la même comptabilité.

L’ICS défend, becs et ongles, une mesure basée sur le marché via une fiscalité pensée pour réduire les écarts de coûts entre les carburants fossiles et les alternatives vertes et suffisamment incitative pour favoriser « l'adoption accélérée » de combustibles bas carbone. La Chambre plaide aussi pour qu’une partie des recettes servent à financer la transition énergétique des États du sud.

La CII s'invite au débat

Cependant, la porte-voix de l'industrie se dit déçue de « voir que la résolution proposée clarifiant le statut actuel du système d'évaluation de l'indicateur d'intensité carbone [CII, NDLR] n'a pas reçu un soutien suffisant de la part des États membres ».

Elle n’est pas la seule. Le système de classement de l'intensité carbone des navires, tant décrié, n’était en réalité pas vraiment à l'ordre du jour. Pour autant, l'OMI a reçu une trentaine de soumissions en vue de corriger les failles du système, que les armateurs ont rapidement épinglées tandis que les ONG environnementales pointent un dispositif pas assez ambitieux et à l'application trop « douce » en cas de non-respect.

L’indicateur, qui classe les navires en fonction du rendement énergétique de leur flotte, n’a rien de neutre. En l'absence d'amendes pour les navires mal notés, les « forces du marché » pourraient y suppléer, par exemple, si les navires mieux notés devenaient plus facilement « affrétables » avec des rendements plus élevés et inversement.

Une motion a particulièrement détonné, celle portée par les Bahamas, le Libéria – deux États du pavillon de poids –, et des lobbies industriels consistant à obtenir de l’OMI le principe de lever le système, le temps de son examen (en cours). Ce qui a été rejeté.

Pour rappel, le CII – pièce essentielle de la Stratégie initiale de l'OMI de 2018 qui a fait l’objet d’amendements à la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (Marpol) –, est entré en vigueur le 1er novembre 2022 et s'applique depuis le 1er janvier 2023 aux navires d'une jauge brute égale ou supérieure à 5 000. 

Le MEPC doit procéder à son examen au plus tard le 1er janvier 2026 en vue de rectifier si nécessaire.

Pour les associations Clean Shipping Coalition, Pacific Environment et WWF, la révision du CII, qui doit commencer au MEPC82 [30 septembre - 4 octobre, NDLR], est surtout une opportunité pour la mettre à jour avec la stratégie révisée sur les GES. « En l'absence de tout mécanisme d'application ferme et avec des exigences annuelles en matière d'amélioration de l'efficacité énergétique qui ne sont guère mieux que le "business as usual", cette première période dite "d'acquisition d'expérience" doit prendre fin et, à partir de 2027, le CII doit être en mesure de jouer un rôle majeur, parallèlement à la proposition de norme sur les carburants et à d'autres mesures à moyen terme », insistent-ils dans un long communiqué conjoint.

Éviter la fragmentation

À l’OMI, royaume du consensus, il est au moins un paramètre qui ne prête pas au débat : l’Union européenne avance. Le SCEQE de l’UE est actuellement le plus grand système d'échange de quotas d'émission au monde. Au fil du temps, la quantité de quotas disponibles pour le secteur sera réduite pour forcer le secteur à rendre dans le cadre vert.

Les compagnies maritimes relevant du SCEQE ne sont déjà plus autorisées à produire plus d'émissions de gaz à effet de serre que leurs quotas ne peuvent en couvrir. Si elles le font, elles seront passibles d'une amende de 100 € par tonne d'équivalent CO2 pour les émissions excédentaires tout en étant toujours tenues de restituer le nombre de quotas requis.

Cela signifie que, contrairement à la CII dans sa forme actuelle, le système d'échange de quotas d'émission a le pouvoir de pénaliser les compagnies maritimes qui exploitent des navires dans ses eaux.

Malgré les divergences d'opinion, les États membres partagent un épouvantail : la superposition des réglementations régionales voire locales avec des normes différentes. Ce serait un véritable casse-tête pour les exploitants de navires en tout cas.

Adeline Descamps

 

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