Le raz-de-marée de nouveaux porte-conteneurs est imminent

Bien plus que les conditions macroéconomiques difficiles et des taux de fret déprimés, le principal facteur qui mine le marché est le plus important « arrivage » de l'histoire du conteneur. Une petite centaine de grands navires doivent être livrée dès cette année dont 31 mastodontes de 24 000 EVP. À peine livrés, les navires pourraient finir au garage. État des lieux.

L’année 2022 n’a pas encore livré ses derniers chiffres. Les armateurs de la ligne régulière n’ont pas tous présenté leurs résultats annuels. Mais une fois publiés, ils permettront aux « questeurs » de clôturer les comptes pour les dix ou douze leaders mondiaux et de renseignant une case très scrutée : le résultat net consolidé. Une certitude : il y aura trois chiffres devant les neuf zéro. Mais le cap des 200 sera-t-il franchi ?

2023 ne sera pas une année ordinaire. Après avoir été submergées par la vague scélérate du Covid, les 11 premières compagnies de transport de conteneurs – les neuf membres des trois alliances mondiales auxquels se joignent ZIM et Wan Hai Lines – vont être noyées sous des chutes de nouveaux porte-conteneurs : 89 grands navires d’ici la fin de l’année dont 31 mastodontes de 24 000 EVP.

Dans un secteur fondamentalement régi par la loi de l’offre et de la demande et dans un environnement de marché en faible demande, cette avalanche est suffisante pour déclencher une guerre des prix, ce vieux réflexe pavlovien aux effets darwiniens. Le trop-plein est du moins le principal élément qui sous-tend l’argumentation défendue par de nombreux analystes d’une inévitable bataille pour les volumes à transporter.

Des taux de fret proches du plateau

Les taux de fret spot pourraient avoir épuisé toutes les raisons de forer toujours plus profond après une irréversible descente en piqué. Les transporteurs se situent actuellement dans « la zone douloureuse », avait indiqué le mois dernier Patrik Berglund, le dirigeant de Xeneta, dont les données sont établies sur la base des taux de fret communiqués par les chargeurs.*

L'indice de Drewry World Container Index (WCI), qui reflète les taux de fret au comptant, est passé début février sous la barre des 2 000 $ par conteneurs de 40 pieds (FEU) pour la première fois depuis le 30 juillet 2020 et après avoir atteint un pic en septembre 2021 à plus de 10 300 $. Depuis le début de l’année, le taux moyen est autour de 2 000 $, soit 622 $ de moins que la moyenne sur 10 ans. 

Offre partout insuffisante

La semaine dernière, le Shanghai containerized freight index (SCFI), qui reflète les prix au comptant du fret conteneurisé au départ de Shanghai vers une vingtaine de destinations mondiales, a encore baissé de 2,9 % pour atteindre 946,68 points. Il est désormais de 80,4 % en dessous du niveau d'il y a un an (5 109,6 points il alors), le plus bas depuis début juin 2020. Dans la semaine se terminant le 24 février, le Ningbo containerized freight index (NFCI), qui évalue les prix moyens sur 21 grandes lignes maritimes au départ de Ningbo-Zhoushan, était fixé à 656,5 points, en repli à nouveau de 3,9 % par rapport à la semaine dernière.

Globalement, l’offre est partout suffisante mais les volumes à transporter sont faibles. Bien que les transporteurs aient géré leur offre avec le coupe-branche sur certaines routes, notamment le transpacifique, la capacité sur le marché reste supérieure à la demande de transport. Ainsi, les indices de Ningbo vers l'Amérique de l'Est et l'Amérique de l'Ouest ont atterri à 773,5 et 695 points, soit respectivement 4,8 et 2,4 % de moins que la semaine auparavant.

Les contrats long terme encore en baisse

Si les taux au comptant atteignent un plateau, les contrats long-terme n’en ont pas encore tout à fait terminé avec la désescalade. Après avoir cédé du terrain en janvier (- 13,3 %) et 22 % de sa valeur depuis août 2022, le Xeneta Shipping Index, qui mesure les taux de fret maritime à long terme* a étonnamment bien résisté en février avec un léger repli de 1 %. Dans ce contexte, il est tentant pour les BCO (Beneficial Cargo Owner), ces grands chargeurs qui négocient en direct leurs appels d’offres avec les compagnies maritimes, de profiter des prix bas du marché spot et de repousser au maximum le lancement de leur appel d’offres. Les compagnies maritimes semblent à ce stade résister encore, rechignant à signer de gros volumes à des prix trop bas.

« En l'absence de demande, compte tenu des conditions macroéconomiques difficiles, des taux spot déprimés et de la surcapacité rampante du secteur, les observateurs auraient pu s'attendre à une poursuite de la forte tendance à la baisse des contrats à long terme », convient Patrik Berglund, le PDG de Xeneta. Le coup de pouce inespéré est venu de l’embellie des exportations américaines, qui se sont ragaillardies (+ 16,5 %), donnant un coup d'arrêt au déclin du corridor le plus lucratif ces deux dernières années.

Néanmoins, cette route fait figure de sanctuaire. « Ailleurs, les baisses ne sont peut-être pas aussi spectaculaires que le mois dernier, mais elles sont importantes sur les principaux trade. La situation reste donc très difficile pour les transporteurs qui se battent pour obtenir des cargaisons, et cela devrait continuer à avoir un impact sur les taux à l'avenir. Il sera intéressant de voir ce qui se passera à la TPM cette semaine », poursuit le dirigeant, faisant référence à ce rendez-vous où se négocient les contrats de moyen et long terme outre-Atlantique.

En quinze jours, MSC intégrera quatre navires neufs de 24 000 EVP

Mais en ce début d’année, le principal facteur qui mine le marché reste bel et bien le plus important « arrivage » de l'histoire du conteneur. Plusieurs navires parviennent aux termes de leur parcours de construction. Parmi eux, des titans tels le Berlin Express de 23 666 EVP au GNL de Hapag-Lloyd, le ONE Innovation (24 000 EVP), le MSC Tessa (24 116 EVP), le OOCL Spain (24 188 EVP).

En tête, le leader mondial du transporteur maritime de conteneurs devra trouver un emploi cette année aux 33 navires qu’il s’apprête à recevoir, parmi lesquels neufs de taille mégamax (24 000 EVP). Entre la mi-mars et le début du mois d'avril, MSC intégrera à lui seul pas moins de quatre navires neufs de 24 000 EVP dans le réseau Asie-Europe : les MSC Tessa, MSC Celestino Maresca (tous deux exploités sur le service AE6/Lion) et le MSC Raya (AE55/Griffon).

« On peut supposer que MSC essaiera de canaliser une grande partie de la croissance de sa flotte vers de nouvelles boucles autonomes en dehors de 2M, se préparant à la fin du VSA avec Maersk à la fin de 2024 », suppute Alphaliner. Une première opération de ce genre pourrait être lue dans la relance, en solo de son iconique service Dragon entre Méditerranée et Asie.

Á peine livrés, les navires sont au garage

Les effets sont d’ores et déjà visibles. Le Maersk Canyon, porte-conteneurs de 15 413 EVP livré par DSME à la mi-janvier, devrait entrer en flotte le 1er mars au sein du service AE1/Shogun de 2M mais la traversée a été annulée et le voyage inaugural du navire a été reporté à la mi-mai, révèle Alphaliner dans une de ses notes hebdomadaires. De même, le voyage inaugural du MSC Sofia (15 264 EVP) sur le même service a été reprogrammé. Il devait rejoindre le service autonome New Falcon de MSC, qui relie l'Asie, le sous-continent indien et le Moyen-Orient.

Maersk devrait toutefois être moins gêné par la problématique de la surcapacité. Sa future flotte est exclusivement composée de ses dix-neuf unités de 16 200 EVP au méthanol dont les premières ne sont attendues que pour la mi-2024. Deuxième atout : ces navires au caractère différenciant, représentant une offre de valeur unique, pourraient lui offrir un asile.

Hapag-Lloyd, la stratégie du report

De même, selon Alphaliner, les membres d’Ocean Alliance [CMA CGM, Cosco/OOCL, Evergreen] devraient éponger le gros temps cette année. La navigation sera en revanche plus serrée en 2024 si les trois partenaires accueillent les 28 panamax et sept memagax prévus (OOCL et Evergreen). Au sein de THE Alliance, Hapag-Lloyd s’apprête à engranger, dans les mois à venir, douze navires de plus de 23 500 EVP au GNL tandis que ONE attend cinq géants similaires, tous avant fin 2024. Cette année-là, HMM recevra également douze navires de 13 600 EVP.

Dans cette configuration, certains transporteurs semblent avoir joué plus finement en ayant réservé à l’affrétement du tonnage moderne mais de seconde main pour des contrats qui doivent démarrer plus tard, repoussant ainsi la décision de commander de nouvelles constructions jusqu'à la seconde moitié de la décennie. Ainsi, Hapag-Lloyd recevra cinq navires de 10 010 EVP de Seaspan à la mi-2024, tous affrétés pour des périodes de huit ans.

Surcapacité insurmontable ?

Le fait qu’une partie des nouveaux entrants soit de conception écologique a pour atout de « protéger » les actifs contre les règles environnementales. Or, cette règle concerne surtout les commandes passées ces dernières semaines pour lesquels les GNL (98 navires, capacité 2,31 MEVP) et le méthanol (68 unités, 0,93 MEVP) se sont imposés à 40 % dans le carnet de commandes, avec une prime au méthanol au cours des six derniers mois (course à l’échelle entre Maersk et CMA CGM). La propulsion conventionnelle ne représente en effet que 8 % des contrats passés en termes de capacité depuis le début de l'année.

Pour faire de la place aux nouveaux navires, les transporteurs laisseront probablement expirer les contrats de location des anciens navires tandis qu’ils mettront à la casse leurs propres anciens navires, soutiennent les uns, tout en doutant que cela suffise pour absorber la surcapacité (Lars Jensen​ de Vespucci Maritime). D’autres penchent pour des reports et annulations de commandes à grande échelle : Peter Sand, analyste chez Xeneta, prévoit que 25 % du carnet de commandes sera reporté et 10 % annulés. Sans préciser s’il s’agit d’options non exercées ou de vraies annulations, qui seraient alors fort coûteuses.

Adeline Descamps

*La plateforme de fret maritime de Xeneta compte plus de 300 millions de taux contractuels, fournis par les transitaires et les chargeurs, basés sur des contrats à long terme uniquement (valides depuis plus de 88 jours).

 

 

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